L'être qui travaille se dit : Je veux être plus puissant, plus intelligent, plus heureux – que – Moi.
Paul Valery
Show, don't tell.
Henry James
Non pas seulement le futur à prévoir, mais l'avenir à libérer.
Jacques Rancière

mercredi 14 décembre 2011

Du Désespoir

Texte publié dans le numéro 2 d'Accident Collectif

« Tu hais l’action car pour qu’elle ait un sens, il faut que la vie ait de la continuité et la tienne en manque » in Ou bien…ou bien de Soren Kierkegaard


En Vérité tout le monde est désespéré. Au Fond. Sous les Vernis, sous le fond de teint, au fond des fêtes, au Fond de l’Etre, le Désespoir. Ce Fond sur lequel nous sommes peints. Sous nos peignoirs, dans nos miroirs, dans nos crachoirs, le désespoir. Mélange d’angoisse existentielle, de complexe physico-morale, d’aliénation sociale, de désordre amoureux, cocktail d’impuissances, de peurs incontrôlables, de doutes insurmontables, de volonté bafouée, de compromission mal assumée, d’ambitions refoulées, de comportement labyrinthe, de routine éternelle, de comparaisons à l’excès, de cicatrices glaireuses, de désirs reniés, de paroles creuses, de manque d’épiderme, de frayeur du Terme. Ca ne nous empêche pas, la plupart du temps, d’exister. On se déroule. Mais ça remonte par bouffée, à l’occasion. C’est notre consubstantiel. Notre Inséparable époux. Peu se l’avoue et encore moins l’avoue… Enfin spontanément… Car brisé par dix litres de bières, franchissant la barrière de la confidence, une fois le filet protecteur de l’Amitié posé, j’entends le même ronronnement, celui qui grince un peu, comme un piaulement transcendant, cette forme d’aveu du Manque. Le manque de Soi, le manque de l’Autre, le manque de Circonstances. Jamais de Joie Glorieuse à l’aube de nuit blanche. Jamais d’extase au fond des choses… Bien sur, je ne doute pas que certains soit heureux. Mais grattez-les vingt minutes et vous vous apercevez que leur contentement n’a pas de fondement. Creusez-les une heure et vous verrez apparaitre sous la détrempe, la couche d’Angoisse. Le Désespoir comme dessin préparatoire. Ah j’en aurais entendu des paroles désespérées, des confessions du p’tit matin, des retours du refoulement, des introspections spontanées… A chaque fois surpris par la forme que prenait le Désespoir, mais désormais habitué de son Ubiquité… Chez des gens que je n’aurais jamais soupçonnés d’être accablé… Chez ceux qui ne laissaient rien transparaitre… Là encore Désespoir… Désespoir partout… Extase nulle part… Il a fallu me faire à l’Idée… Ca a l’air grave comme ça, mais ça ne l’est pas tant que ça. On peut toujours graver de jolies choses, même sur un fond merdique. Ou alors on peut tout effacer… Changer de Toile…J’y arrive… Mais d’abord pourquoi ne pas posez tout cela comme préambule… Introduction à la Constitution : « l’Homme est Affliction »… Crève-cœur… Supplication… Catastrophe plate… Ca nous remet à notre place… Celle d’une Promesse inachevée… L’homme comme Projet… Parce qu’on fait tous comme si tout aller de soi… On a nos petites fiertés… Nos Intentions… Toujours à venir… On discute… On parlotte… Comme si on n’était pas tous posé près de la faille…. « J’suis au bord du gouffre » dit-elle en riant… Mais tu l’est Réellement ma pauvre… Nous marchons tous sur la fragile banquise de la dépression… qui n’est que l’expression manifeste de notre fond primordial… Encore une fois tout cela n’a rien de Tragique… Enfin si… Ca nous empêche d’être Sublime… Mais ce qui est Sublime c’est que tout cela est Commun… Partagé… Si nous nous l’avouons simplement, il n’y a pas de raison d’évincer la désolation… Il faut nationaliser le Désespoir ! Régie Nationale de la Détresse ! Mutuelle Syndicale de la Tristesse ! Ca ne demande pas une grande cérémonie du Chouinement… Les plaintes piaulées sont inutiles en plus d’être fatigante… Non juste un constat froid de notre Accablement… De là, on pourra éviter la manque de substance de nos paroles… De ces phrases dégueulasses qui ne signifie rien, de celles qui surfent à la surface, par crainte des profondeurs… Il suffit d’avoir une fois pour toutes mis en commun nos doutes… Le conscient collectif… Au lieu du repli individuel des nuits cuivrées… Même les chiens sont moins seuls... Attention je ne renie pas l’immense Grâce de la Solitude et des traversées des Mers Intérieurs… Ce que j’insulte c’est d’en rester là… D’apparaitre lissé le lendemain… Et que chacun patauge dans son p’tit Malheur personnel la nuit d’après… Le Courage ponctuel de s’avouer Moins-Que-Rien et l’Odyssée suit son cours… Je respecte les gens qui portent le masque de la quiétude mais je supporte de moins en moins leur Insincérité…Comme à chaque fois toute vérité à deux Facettes…La Dialectique… En somme éviter deux excès, celui de la l’insignifiant tout va bien et celui de l’hyper chiant tout va mal… Non… Tout est Désespoir…C’est entendu… On est d’accord… Mais rien n’est insurmontable… Une fois Partagé… Du communisme des Affects…
« La joie est plus profonde que la Tristesse » F. Nietzsche
Bon ce qu’il y a de tragique dans le Désespoir, j’y reviens, c’est qu’il nous empêche d’atteindre le Merveilleux. Car le Désespoir n’a rien de Sublime. C’est au contraire une petitesse, un frein risible, une œuvre minable, le sordide sans le grandiose. Rien d’Eschyléen là dedans, plutôt Amour Gloire et Beauté que Prométhée Enchainé… Ce Nietzsche qui s’éloigne de moi à tout de même écrit cela. Oui la Tristesse n’est que Surface… Pellicule de laid… Surtout elle ramène tout à soi… A la plus petite part de soi… La Mélancolie ne transcende rien… Elle est repli sur soi… Confort de la douleur… Dans le Désespoir pas de risque… Pas de rencontre… Paroi sans valeur…Tout est déformé pour la position fœtale… On se tient chaud… Alors que la Joie est Expansive… Elle est ouverture, brèche extensive, capture du monde… Qui part de soi… Pas besoin de cette perpétuelle envy d’ailleurs… De voyage… De grand départ… Voilà encore une manifestation du Désespoir… La joie transporte…. Avion à Réaction… Définition : Sourire Irrépressible, Agrandissement du moi… Elle m’est arrivée… Dans l’onde de mon Ampli… Au Milieu de l’ivresse collective… Au détour d’un paragraphe… Au fond d’une danse de Salon… Percuté par une conversation… Au bout de certaine lèvres… Le grand Débord… L’émotion qui ruisselle…. Et surtout cette métamorphose en smiley incontrôlé… Et contrairement à la tristesse, la joie ouvre les bras… On délire le Monde… On s’étend Univers… Opération Cœur Ouvert…La joie c’est l’Acuité à Son Sommet… Putain de tic célinien dont il faut que je m’échappe…Aller contre soi… Toujours…Si la joie est plus profonde c’est qu’elle nous élève tandis que le Désespoir nous élague… Ah Le tourment romantique des grands sentiments… Voilà une autre promesse inaboutie… Le syndrome Bovary… On nous dépeint le tragique et on vit dans le gris fade… On nous annonce le lyrique et c’est le quotidien qui règne… En tout cas le grand sentiment ne passe pas par le supplice… L’anxiété ratatine… Le Baroque c’est la Joie qui s’entortille… L’euphorie qui cabotine… J’me résume… Assumons nos Désespoirs, et arrêtons de nous persuader de vivre dans une société pacifiée…Aux Idoles, les Eclats… Notre Vietnam c’est le vide de Joie… Aller contre soi…Toujours…. Le voila notre accès à la passion promise…
« Avant tout, être un grand homme et un saint pour soi-même. » C. Baudelaire
Tout cela est bien mimi… Déclaration d’Intention… Facilité de salonnard… Mais il y a un chemin bien précis pour éliminer le Désespoir et parvenir à la Joie… Il faut Devenir Saint… C'est-à-dire ne pas vivre dans la séparation… Qu’est ce qu’un Saint… Un être non séparé… Un saint n’a pas trente-six identités… Il est Soi… Toujours… Il ne renie pas une partie de lui-même en fonction du moment de sa journée… Il suit sa voix… Ca ne l’empêche pas d’aller contre lui même… Toujours… Mais il ne se trahit pas en s’adaptant à chaque instant à son audience… Il faut en finir avec la glorification foireuse des Deleuzeries, cette ode à la vulgarisation de la schizophrénie. Car se présenter à chaque fois différent, pour échapper à la normalisation du Kapital, c’est juste s’adapter hypocritement à la Domination palatiale. Soumis quand il faut l’être, poli aux instants symboliques et libre temporairement. Le parfait petit assemblage qui ne renverse rien... Ma vie de bureau, mes sortie familiales, mes compromis génitales… Merde de Paon ! Gloire à la Glaire des Caméléons ! Non viser la sainteté c’est devenir un et inaliénable… Ne pas céder sur ses désirs… Ne pas être séparé de Soi... Voilà le radical… Le Martyre à s’infliger… La provocation ultime… Dire Je partout et tout le temps… Assumé tout ce qui mijote plutôt que patauger dans le zigzag… Par ce qu’on a toujours le choix… Matériellement surement pas… On se subit… Mais au Niveau métaphysique…C’est libre arbitre… Kant a raison… Königsberg au Panthéon… Il suffit d’accepter de se bruler… De choisir pire… De se quitter… Le choix du transcendant…..Pas évident… Effrayant… Mais il y a malheureusement toujours une ligne de fuite pour nous rendre coupable de rester sur les quais… Il faut accepter de brûler ses vaisseaux sans gains… Alors oui concrètement on est pris dans le tissu de la causalité… Etouffer par l’étoffe des motifs que l’on a pas choisi… Pris dans l’Injustice primordial d’être né dans un corps aléatoire… Jeté au hasard dans une famille imparfaite… Ballardé dans une culture singulière… Mais il y a toujours ce choix, qui la plupart du temps va contre soi, son confort, ses habitudes, qui permettra de quitter le régime des nécessités… Le choix moral... Tout un programme… Devenir Saint… Saint Sébastien… Enfléché Notoire… Gloriole à Tafiole… Je suis Moi… Se le Dire comme un Mantra… Pour ouvrir une voie vers la vallée… Une voix originale… Je ne me sépare pas… Pas de Diffraction, Pas de Dispersion.. Se creuser…Et Aller contre Soi…La Dialectique… La Négation… Pour ne pas devenir un con imbuvable… Et toujours envisager les Autres comme des Promesses… Alors peut être le Désespoir disparaitra et la joie se Dévoilera… Alléluia ! Le mal c’est la Séparation… Saint Antoine qui se couche sur le lépreux rompt la ségrégation… Le Saint excise le Vide… Le saint remède au Nihil… Donner moi le Saint… Rompre le séparé… Pour retourner au Commun… Devenir Saint… Devenir Saint…

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