L'être qui travaille se dit : Je veux être plus puissant, plus intelligent, plus heureux – que – Moi.
Paul Valery
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Henry James
Non pas seulement le futur à prévoir, mais l'avenir à libérer.
Jacques Rancière

mercredi 14 décembre 2011

John Cassavetes – Opening night

Rien n’est écrit. La tristesse n’est pas scénarisée.

Myrtle Gordon (Gena Rowlands), star glacée, imbibée au J&B, débute une nouvelle pièce qui met en scène la fatalité de la vieillesse.
Sortie d’une représentation, sous des trombes d’eau, filmée aléatoirement, scène où l’ on reconnait la situation par intermittence, entre la vision et ses parasites esthétiques (halo, flou, pluie) ; Myrtle croise une fan transie à qui elle signe un autographe.
L’instant d’après celle-ci, Nancy, est renversée.
Début d’un séisme chez Myrtle.
Le soir même, elle passe dans l’appartement de Maurice (John Cassavetes), mais celui-ci refuse une relation avec une star si capricieuse et changeante.
Depuis sa chambre d’hôtel, débat téléphonique et tyrannique, avec Myrtle qui refuse désormais de se faire giflée dans la pièce, avec le metteur en scène qui s’écroule sous les chantages affectifs de la star alors qu’il est en même temps au lit avec sa femme. La star idole qu’on adule contre la femme que l’on aime.
Le lendemain, répétition infinie de la scène de la gifle et confirmation dans le journal de la mort de Nancy, la jeune fan. Myrtle se rend à la veillée mortuaire et se fait renvoyer.
Première apparition du spectre de Nancy.
Le metteur en scène, Manny, entraine la star dans sa chambre. Carnavale de Whisky et parade de clopes.
Le lendemain, Manny amène Myrtle à la représentation et croise sa femme qui accepte la situation.
La pièce se déroule mal. Myrtle cabotine. Refus du constat mélancolique de la pièce. Le public peu exigeant accepte les extravagances de l’actrice.
Mais Manny et Sarah, l’auteur de la pièce, ne supportent plus ses excentricités.
Myrtle avoue à Sarah ses hallucinations, celle-ci l’emmène chez sa voyante. L’actrice avoue lucidement son problème, c'est-à-dire sa coexistence avec un fantôme, avec Nancy, qui représente tout ce qu’elle était dans sa jeunesse, belle, invincible, sans limite, ivre de désir.
De retour de cette séance, Myrtle provoque Nancy en duel. Combat, fracas. Myrtle se réfugie chez Sarah et se blesse au visage. Les yeux creusés par des cernes de meurtrissure.
Dernière répétition avant la première new yorkaise, Myrtle est jugée folle. Dans une ultime lutte elle convoque Nancy et la tue.
Soir de la première. Myrtle arrive ivre morte au théâtre. Au frontière de l’annulation. Pourtant elle parvient malgré l’ivresse à monter sur scène à assurer les premier actes.
Lors de la dernière scène, Myrtle s’affranchit totalement du texte, et improvise avec Maurice la fin de la pièce. Celle-ci prend une couleur comique, sarcastique, Maurice rentre dans le jeu de Myrtle jusqu’à lui faire faire des exercices pour éprouver son ivresse. Fusion de l’art et de la vie.

Le génie de Myrtle est de refuser le constat de la vieillesse comme étiolement. Pourtant Nancy est le spectre de sa jeunesse. Elle est son seul refuge pour affronter la pièce qu'elle résume ainsi " La pièce parle de la diminution progressive de mon pouvoir de femme qui va de paire avec la maturité. A un moment de la vie, la jeunesse meurt et une seconde femme entre en scène. Je crois que Nancy est la première femme de ma vie".
La vieillesse n’est pas un effondrement, un affaiblissement mais l’affirmation d’autres choix. D’ailleurs Myrtle est toujours aussi puissante car elle arrive à détourner le sens de la pièce par la grandeur de son improvisation. Vieillir peut toujours menée à la grandeur, mais par de nouveaux chemins.

Mais tout le film tient dans le visage de Myrtle. Il est un flux instable entre les ravages de la vieillesse et la beauté juvénile. Il laisse apparaitre ce que seront les rides et les cernes, les suggère, comme par décalque. Ce visage est au sommet de sa splendeur, prêt à basculer vers la mort. Un brushing indétrônable fixe les traits et la silhouette de ce visage sur lequel on voudrait habiter. L’Unesco aurait du le classer au patrimoine mondial, tant il recèle de beauté miroitante. Le visage de Gena Rowlands capte l’attention comme peu de chose au monde. On espère dans chaque plan y déceler de nouvelle traces, de nouvelles facettes. Alors qu’elle se mutile, on devine l’éternité de ce visage qui finira tout de même malheureusement par disparaitre. Ce film aura fixé cette grâce fugitive, le visage de Gena, ses yeux désabusés, la lenteur de son teint, l’écho de ses rides futurs.

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