L'être qui travaille se dit : Je veux être plus puissant, plus intelligent, plus heureux – que – Moi.
Paul Valery
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Non pas seulement le futur à prévoir, mais l'avenir à libérer.
Jacques Rancière

mercredi 14 décembre 2011

Two Lovers – James Gray

De l’amour fou à l’amour régulier

Leonard (Joachim Phénix), bipolaire, suicidaire, brisé par le chagrin, employé dans le pressing de son père, a réintégré le cocon familial depuis quatre mois. Pourtant cela ne suffit pas, puisque dans la première scène il se jette du haut d’un pont dans la mer. Mais à l’image du film, il reprend vie et remonte à la surface, puis est sauvé. Chez lui il est infantilisé, réveillé par sa mère, appelé pour mangé, surveillé, lové. Ma vie en Normandie, d’autant qu’il possède les même posters, le même bordel livresque, la même vieille hi-fi. On traque chez lui la folie, son mutisme devient inquiétant, ses hésitations sont le suspens de sa démence. Banalité tragique des parents, occupés bourgeoisement à sa boutique pour le père, à son fils pour la mère. Et puis soudainement, conjointement deux femmes apparaissent pour le sortir de sa torpeur. La première, Sandra (Vinessa Shaw) incarne l’amour raisonnable. Elle est du même milieu, juive comme lui, et de plus ses parents veulent racheter le pressing familial de Léonard. Et elle est sublime. Les deux familles organisent, infantilisation encore, une rencontre entre eux lors d’un diner. Leonard montre ses photos qu’elle semble réellement apprécier. Son film préféré est la mélodie du bonheur, non pour l’œuvre, mais pour la vision en famille qu’elle procure. Sagesse, simplicité, mignonesse. Alors que cet amour naïf et bon pourrait sauver Léonard, une voisine divine apparait. Michelle (Gwineyth Paltrow). Ange sous taz, aux cheveux blonds interminables, amoureuse d’un homme marié qui refuse de quitter sa famille, elle est perdue, endommagée, cherche à se confier. Evidence entre Leonard et Michelle, là ou avec Sandra les rapports sont fragiles, hésitants. Scène folle de la boite de nuit, séduction, montée du désir, danse, frôlement, cou offert, et avortement brutal de la passion. Leonard a le désir en suspension, il est à nouveau ouvert à l’amour, comme une mer dégelée prête à accueillir la tempête. Son amour va d’abord vers Michelle, l’amour fou, femme pour qui il est prêt à tout quitter. Mais celle-ci ne le voit que comme un ami. Alors il refuse toute relation et se résigne à aimer Sandra. Amour sage, qui possède la beauté de sa simplicité, comme celle de faire du sexe dans son lit d’enfance. Pas une passion mortifère, mais une relation élémentaire. Mais Michelle, fais une fausse couche et rappelle Léonard pour qu’il la soutienne. Celui-ci n’hésite pas à quitter la bar-mithzva du frère de Sandra, pour la rejoindre et l’épauler. Ecrire du doigt sur la peau, sur le dos, sur le bras. Enfin la tragédie peut se conclure. Sur le toit de l’immeuble, Léonard déclare son amour fou pour Michelle qui s’est décidée à quitter son amant marié, qui n’a lui n’ose pas tout quitter pour elle. Invocation de l’amour fou sur ce toit glacé, sexe immédiat, le désir peut reprendre. Projet de départ pour la Californie, dès le lendemain, le nouvel an. Fuite éperdue de Léonard, bague, départ anonyme pendant le réveillon. Et puis la mère (Isabella Rossellini) qui le surprend dans l’escalier, elle a compris sa passion. Pas de grande dispute, pas de reproche, juste une mère qui veut le bonheur de son fils. Brisure de la condition bourgeoise par une mère banale aimant sublimement son enfant. Mais finalement l’amant de Michelle a décidé de quitter sa femme, celle-ci ne part donc plus en Californie. Chute et anéantissement du désir initial. Leonard repart vers la mer. Suicide, Démence ? Non car finalement il trouve dans sa poche un gant offert par Sandra. Il s’aperçoit qu’elle l’aime comme lui a aimé Michelle, il se retrouve en elle et décide de revenir, de lui offrir la bague initialement prévue pour Michelle, et de l’aimer elle, la sublime raison innocente.

Film éternel sur le choix de l’amour, entre deux femmes, la brune raisonnable et la blonde incandescente. Et pourtant cela marche, la tragédie une fois de plus renouvelée. On pourrait reprocher à Gray d’avoir choisi de privilégier l’amour bourgeois, du couple, de la famille, face à la bohème, le marginal et le romantisme. Mais il montre cette passion comme une fuite, et l’amour avec Sandra comme insensé et fabuleux, par sa simplicité même. Pas de drame, mais de la confiance, pas de drogue mais du sexe évident. On pourrait aussi critiquer le fait que Léonard passe facilement de Michelle à Sandra, mais l’amour se moque de son objet, c’est un flux, un don, un mouvement, pas un filet.

L’amour comme le désir est un mouvement sans objet, il suffit de l’initier il se projettera sur n’importe quel reflet. L’amour raisonnable, familiale est aussi quelque chose de complètement fou.

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